Sur rtbf.be 10 mars 2022, Par Johanne Montay
ls sont douze. Dans le blanc de l’Antarctique, leurs combinaisons rouges tranchent comme le sang sur les murs ukrainiens. Leur rouge à eux est pacifique. Ils sont là pour la science. Ils ont ajouté sur la photo un drapeau bleu comme le ciel, jaune comme le soleil. Les couleurs de leur pays, l’Ukraine. Ces 12 membres d’une équipe scientifique sont coincés dans la base de recherche de Vernadsky, au pôle Sud, à plus de 15.000 kilomètres de Kiev, depuis avril 2021.
Et puis boum. Au sens littéral, au sens de l’onomatopée. Le 23 février, sur Facebook, l’équipe de scientifiques, d’ingénieurs et personnel de support publie ceci : “Nous, Ukrainiens de la station antarctique Academic Vernadsky, lançons un appel à toute la communauté polaire, à toutes les stations et aux pays, qu’ils présentent avec un profond respect.
Ici en Antarctique, tous les États respectent leurs accords internationaux conformément au Traité sur l’Antarctique et respectent le droit international et visent une coopération pacifique. Cependant, de telles relations de bon voisinage ne sont pas présentes sur tous les continents.”
Andrii Khytryi est le médecin de l’expédition. Il travaille d’habitude comme anesthésiste et médecin urgentiste à Poltava, dans le centre de l’Ukraine. C’est lui qui doit veiller sur la santé physique et mentale des membres de l’équipe scientifique. Nous l’avons joint sur Messenger.
Par message vocal, il nous raconte le choc de l’annonce de l’invasion russe, vu de la station scientifique : “C’était vraiment choquant de voir les infos sur l’invasion à grande échelle par la Fédération russe, malgré que la Russie a occupé l’Ukraine il y a 8 ans, et avait mené une guerre hybride dans le Donbass.”
En état de sidération, l’équipe a donné du travail au médecin : “Pendant un jour ou deux, c’était comme si la guerre nous avait mis à terre, c’était vraiment dur émotionnellement à surmonter. Certains ont eu des pics d’hypertension, d’autres, des crises émotionnelles. J’ai eu pas mal de travail“.
Etre là, dans l’immaculé Antarctique, territoire de paix, avec ce sentiment d’impuissance. Andrii Khytryi a commencé par raconter au magazine américain Wired à quel point c’était “vraiment angoissant d’être ici incapable de lutter contre l’occupation“. Leurs proches sont dans des villes diverses, et Andrii nous livre, toujours en message vocal sur Messenger, à quel point “c’était insupportable d’être là, incapable de les aider“.
Une deuxième phase a été celle de l’acceptation de la réalité. “Nous essayons d’aider nos forces armées, mais nous ne pouvons pas. Nous pouvons juste apporter notre soutien financier“, poursuit Andrii Khytryi. “Après un moment d’incertitude, nous avons retrouvé un certain moral, et aujourd’hui, mes collègues disent qu’ils veulent retourner en Ukraine et participer à la défense contre l’agression.”
La relève
L’une des incertitudes était de savoir aussi si l’équipe ukrainienne censée relever les scientifiques en mission pourrait les rejoindre. Leur arrivée était prévue… en mars. La guerre est passée par là et l’équipe en place risquait de devoir rester une année de plus, bloqués en terre de paix, l’impuissance au ventre.
Mais des nouvelles sont arrivées il y a quelques jours : “L’équipe qui est censée prendre la relève est en route et nous espérons qu’elle arrive dans à peu près deux semaines. Après cela, nous espérons que nous pourrons retourner en Ukraine. ”
Pendant ce temps, à Kiev, leur employeur, le National Antarctic Scientific Center ukrainien, vit des moments très difficiles : “Certains membres clés participent aux opérations de défenses territoriales de la capitale, mais ils nous soutiennent et préparent notre retour.”